Et si nous sortions des clichés sur la ville de Marseille ? Et si nous oubliions pour une fois la bouillabaisse, le pastis, le vieux port, les panisses, Pagnol et "Plus belle la vie" ?
Direction La Cité Radieuse, la Cité du Fada comme l’ont appelée les Marseillais, du Corbusier, pour découvrir une gastronomie radieuse proposée par un autre Fada, de la cuisine cette fois, Alexandre Mazzia. Des Fadas ? Oui mais entendez ici des génies, des bons génies.
Ces deux-là étaient faits pour se rencontrer et Alexandre Mazzia nous l'explique avec pertinence : "Je me sens bien ici, je suis à Marseille que j'aime beaucoup mais pas tout a fait non plus, quand on est à La Cité Radieuse, on est à la marge, on est presque en terrain neutre, mais on est au cœur du design, de l'art, de l'architecture, c’est un lieu qui m’inspire". Interprétation libre de notre part : "Ici je peux faire la cuisine que j'imagine, sans le poids de la tradition, sans me sentir obligé de proposer une cuisine authentique, authentiquement provençale, authentiquement marseillaise".
Le Corbusier a construit son "unité d'habitation" de Marseille entre 1945 et 1952, étonnants volumes sur pilotis, trois cent trente-sept appartements, un village vertical, avec une école, un gymnase, des magasins (il n'en reste plus beaucoup), une terrasse incroyable, des "rues intérieures" comme cette troisième rue, au troisième étage où se trouvent le restaurant Le Ventre de l’Architecte et l’hôtel, en fait des chambres conçues au départ par Le Corbusier pour que les familles de la cité puissent recevoir leurs amis, des chambres d’amis, c’est mieux que des chambres de bonnes !
Alexandre Mazzia invente et construit une gastronomie remarquable depuis longtemps malgré son jeune âge. Il est arrivé ici en 2010, et dans la cuisine, il a écrit : "Il ne faut pas être fou pour travailler ici, mais ça aide !!". Une cuisine pas très grande, chacun doit être à sa place, Le Corbusier n’avait pas prévu... Très peu de stockage, pas de feu, pas de gaz, on dirait presqu’une cuisine de bateau, au loin d’ailleurs on voit la mer et les Îles du Frioul. C’est étonnant de se retrouver ici avec le Chef, même impresssion que celle d'être en coulissses après le spectacle, l’équipe est partie, la salle est vide, la pression est redescendue, tout brille, tout est nickel, et si ce que nous avions vécu n'avait été qu'un rêve ? même un rêve bleu , bleu comme la mer.
Avant de se poser ici, Alexandre a passé ses quatorze premières années au Congo, puis l’arrivée en France, les voyages toujours, et puis les rencontres, Alain Passard, Michel Bras, Pierre Hermé… et Martin Berasategui, chez qui il a passé quatorze mois, Chef du Laboratoire, pas moins que ça, on évoque notre dernier déjeuner à San Sebastian, c'est toujours émouvant d'avoir des souvenirs en commun avec un inconnu.
Le Corbusier ne voulait pas seulement construire, il se préoccupait du bonheur des habitants, on trouve d’ailleurs sur le site de l’association des habitants, Marseille Cité Radieuse, une analyse qui nous touche : "(…) Son architecture veut procurer à chacun la beauté et l’émotion poétique. Comme un sculpteur il travaille la beauté des volumes. Il règle avec précision les rapports entre toutes les dimensions. Il invente une gamme de proportions qu’il nomme le "Modulor". Regarder une façade de l’Unité d’Habitation, c’est voir une multiplicité de formes qui s’intègrent dans une unité. C’est une musique qui se voit. Les volumes sont la fois multiples et un. Avec force, Le Corbusier ramène le compliqué au simple, le chaos à l’ordre, la pluralité à l’unité et l’agitation au calme.
Les couleurs des loggias rendent l’architecture vivante et gaie. Il voudrait qu’aux habitants elle donne de la joie. Il ne fait pas une architecture qui se contemple. Il fait une architecture qui se vit (...)".
Et bien, nous pourrions presque écrire la même chose sur les assiettes d’Alexandre Mazzia. Chaque matin, il expérimente les recettes, il dessine les assiettes, il imagine en fonction des échanges qu’il a eus avec ses fournisseurs, des locaux pour la plupart, "Aujourd’hui Chef j’ai sept oursins et un joli maigre… ", débrouille toi avec ça, des produits de saison évidemment, comme pour ce déjeuner, le doubeurre (le butternut), l’hélianti, le maigre, la poire, l’encornet…
Alexandre Mazzia est comme son illustre collègue fada un architecte mais c’est aussi un parfumeur, un peintre, un poète, un sculpteur, mais attention Alexandre est d’abord un cuisinier, un magicien du goût et aucune fleur, aucune feuille n’est là par hasard ou juste pour faire joli comme ces citra leaves, ce trèfle à trois feuilles, qui rend l’encornet raffiné avec un léger goût d’agrume à moins que ce ne soit de Granny Smith, en tous les cas, c’est frais et acide. Du végétal et du cru pour commencer, comme ce maigre et poire, et puis on monte en puissance vers le cuit, comme ces racines et l'encornet. On redescendra ensuite, presque une régression, avec les desserts, une œuvre chocolat qui nous laisse muets d’admiration et de reconnaissance et cette touche d’acide pour finir qui nous sort du cocon soyeux précédent, on se relève sur son siège, un frisson dans la machoire inférieure, on est bien, prêts à partir arpenter les galeries du MAC de Marseille. Comme Le Corbusier pour l’architecture, le Chef Mazzia ne fait pas une gastronomie qui se contemple, même si elle est splendide (et il suffit pour s’en convaincre de regarder les photos qui ne doivent rien à nos talents de photographes, n’en ayant pas), il fait une cuisine qui se vit et qui donne du bonheur.
Dans une ambiance étonnante, presqu’en dehors du monde, en tous les cas loin de l’agitation, on est chez Le Corbusier, chez Charlotte Perrian, chez Jean Prouvé, chez Alexandre Mazzia, sans oublier son équipe et en particulier Anne, en salle, ambassadrice de la cuisine, et ce ne doit pas être simple chaque matin de découvrir le nouveau déjeuner, le nouveau diner car cela recommence chaque jour. Alexandre nous dira "Je ne veux pas faire la même chose chaque jour car je sais que je vais m’ennuyer, je suis toujours en train d’imaginer autre chose, je voudrais dessiner aussi les assiettes, je les ai d’ailleurs déjà dans ma tête, les ambiances, je sais ce que je veux…". C’est sans doute pour tout cela que nous avons fait là un de nos plus beaux voyages gastronomiques. Un déjeuner en cinq plats pour 32 euros, une aubaine, en attendant de pouvoir y retourner pour le dîner, tant nous voulons partir plus loin avec le commandant de cet étonnant bateau.
C’est MIAM MIAM évidemment comme il nous apparait évident que le dîner que nous ferons nous conduira vers l’exceptionnel, vers le Triple Miam, Alexandre sera le cinquième et rejoindra Martin Berasategui, joli clin d’œil au passé commun des deux chefs. En tous les cas, un de nos plus grands coups de cœur que nous aimerions tant vous faire partager.
Le Corbusier avait fondé en 1920 la revue l'Esprit Nouveau, en 2012, dans Le Ventre de l'Architecte, Alexande Mazzia donne à la gastronomie un esprit nouveau, c'est réjouissant, c'est excitant.Alexandre Mazzia a quitté
Le Ventre de l'Architecte. Il est aujourd'hui remplacé par Jérome Caprin. On retrouve maintenant Alexandre Mazzia dans son restaurant AM à MArseille.
Menu déjeuner - Création du jour (trois plats, deux desserts - 32 €) :
- Mise en bouche : crevettes, butternut et velouté de butternut, réglisse
- Maigre poire marinade instantanée, sucre de bacon, chocolat blanc, neige combawa / main de bouddha, sorbet wasabi
- Racines tubéreuses, fleurs sauvages, coing, rutabaga, cerfeuil tubéreux
- Encornet brûlé, hélianti, tapioca "Akaisayki"
- Texture chocolat, sorbet chocolat - piment d'Espelette, safran
- Sorbet citron vert - gingembre, céleri, feur de sauge ananas
Le pain Bandol Blanc L'Hermitage 2011 L'addition (2) : 104 €
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Le Ventre de l'Architecte
La Cité Radieuse, 280 bouvelard Michelet, 13008 Marseille (cliquez sur l'adresse pour afficher le plan)
Téléphone : 04 91 16 78 23
Ouvert du mardi au samedi de 12:00 à 13:30 et le soir deux services 20:00 et 21:00.
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Mireille et Jean