Sur Mesure par Thierry Marx - Paris 1 : le rendez-vous manqué...
Cela faisait des années sans doute que nous attendions ce moment, celui de la rencontre avec la cuisine de Thierry Marx. Le personnage est attachant et charismatique même si nous le connaissons seulement à travers le prisme déformant de la télé-cuisine, le prisme encore plus déformant de la caricature "Marx = moléculaire", mais aussi à travers ses interventions au Palais de la Découverte ou au Collège Culinaire de France ou encore grâce à ses livres, dont le dernier "Système D" nous promet de cuisiner pas cher et malin...
Mais il est parfois des rencontres tant attendues qu’elles ne se font pas et c’est ce qui nous est arrivé en cette soirée au Sur Mesure, le restaurant doublement étoilé du Chef Marx au Mandarin Oriental, comme une fête trop imaginée, trop attendue, trop fantasmée...
Quand on entre au Mandarin Oriental on entre dans un monde différent, celui du luxe qui s’affirme et s’assume. Les murs d’œillets rouges et blancs, le regard troublant de Liz Taylor par Andy Warhol, le patio au fauve rouge sang, les alcôves que l’on imaginerait sensuelles mais qui ne semblent être que professionnelles et puis l’ouverture de la capsule, comme une porte de sous-marin, une porte de verre hermétique avant de découvrir l’univers dessiné par l’agence Jouin Manku.
Ambiance monacale, ascétique, on nous dit que rien ne doit venir troubler les créations du maître, on imagine une immense toile de lin tendue attendant les coups de baguettes de l’artiste. Une ambiance très blanche, un air de clinique chic pour chirurgie esthétique chère, comme un large couloir qui tourne autour d’un patio carré froid et bleuté, les cercles font des huit comme les ronds de serviettes, « le huit porte bonheur », sur les tables qui ont pris place dans ce cloître futuriste une lumière morte est posée, inanimée elle tente sans y réussir de réchauffer l’ambiance.
Les tables justement sont espacées, l’espace est un luxe à Paris, donc les tables du Mandarin Oriental sont espacées. Et pourtant par un étonnant phénomène acoustique les conversations se partagent bien malgré nous. La dame d’à côté, la dame aux Louboutin aux semelles rouges et en peau de serpent collection été 2013, écoute le monsieur en face d’elle lui parler politique, tout y passe, elle lui dit qu’il a bien raison, on résiste très fort pour ne pas intervenir. Le monsieur quitte souvent la table, peut-être un problème de prostate, en l'attendant elle fouille nerveusement dans son sac damassé noir ; Chanel peut tout à fait donner une jolie contenance en pareille circonstance. Mais nous nous égarons...
On se concentre à nouveau sur la carte des vins, très chers vins mais on est au Mandarin Oriental. On commande aussi une eau gazeuse, elle arrive dans sa très jolie carafe sans marque. Une deuxième sera apportée sans nous demander, on se dit que dans les grandes maisons l’eau gazeuse est offerte. Deux Badoit seront facturées, ça agace ces mauvaises manières. Le service est attentif et très professionnel, mais il n’y a pas comme chez Piège ou chez Berasátegui ou encore chez Reitbauer cette harmonie qui transforme la salle en scène de l’Opéra Garnier. Il y a là plutôt un ballet d’automates parfaitement réglés. Le Chef n’est pas là ce soir, comment lui en vouloir ? C’est l’apanage des très grands. Une personne (?) viendra s’enquérir de notre connaissance du Chef, nous lui dirons qui nous sommes, il nous racontera l’histoire du Chef, le parcours du Chef, étonnamment il insistera sur le Liban et les paras et la rage de s'en sortir socialement, la légende se construit. On trouve ce moment plutôt intéressant jusqu’à ce que nous entendions ce même texte raconté à la dame aux Louboutin par une autre personne et plus tard encore ce même texte raconté à la table ronde des amis, en même temps la biographie est écrite et ne se ré-invente pas chaque soir.
Nous n’avons toujours pas parlé cuisine car quand on apprécie et respecte un Chef pour ce qu’il fait et ce qu’il donne à voir et à lire, on a du mal à écrire qu’on n’a pas été séduit. Marx dit souvent qu’il propose une cuisine techno-émotionnelle. Rien à dire sur la technique, tout est maîtrisé à la perfection, les cuissons, les associations, les couleurs, les dressages… Le lapereau farci aux huîtres est sans doute un des plats les plus raffinés qu’il nous ait été donné de déguster dans notre vie de gastronomes et la sauce du King Crabe est une pure gourmandise citron/olive qu’il est malheureusement interdit de finir, privés de pain et de cuillère que nous sommes. Nous aurions dû, comme on fait chabrol en Corrèze, porter l’assiette à nos lèvres, mais nous avons eu peur d’apparaître un peu rustres aux yeux de la dame aux Louboutin.
Le problème du Sur Mesure, pour nous, c’est qu’il a oublié l’émotion pour ne laisser la place qu’à la démonstration de la maîtrise absolue de la technique. Comme ce décor - 2001 Odyssée de l’espace pour Walter, la maison bulles de Cardin pour Jack - ne fait rien pour apporter de la chaleur, on ressent comme un manque de générosité, un comble pour un Chef qui à nos yeux en est pétri. Aucune surprise, pas de mises en bouche non prévues, les mignardises sont envoyées avec le dessert, et on précise bien que ce sont les mignardises, fort heureusement d’ailleurs car comme elles sont dressées dans le bento des desserts on aurait pu ne pas s’en rendre compte. La seule surprise (en dehors de celle de pas avoir eu de pain, à part ce parallélépipède mou d’épeautre) sera comme à la grande époque d’El Bulli de voir arriver une splendide boîte de chocolats et un gâteau au chocolat, parfait carré de dix centimètres par dix centimètres à la couverture brillante. Dur retour à la réalité, cette apparition durera moins d’une minute, ne sera même pas posée sur la table, disparaîtra comme elle était venue pour réapparaître rétrécie par un coup de baguette, un chocolat, une lame du gâteau au chocolat, en partant on se demandera ce qu’ils ont bien pu faire du reste de ce si joli carré cacao ? L'ont-ils jeté ?
Nous l’avons réalisé plus tard, c’est en fait un restaurant qui n’est pas pour nous. Nous avions envie de chaleur et de partage comme quand le grand Thierry Marx parle de street food, des personnes qui ont galéré et qui trouvent dans son école généreuse un moyen de s’en sortir ou encore du système D comme outil de réinsertion.
C’est MIAM pour nous, nul doute que pour d’autres ce serait un Triple Miam. La cuisine est un art qui ne laisse pas de place à l’objectivité, l’émotion, subjective, domine. Les "œuvres" de Marx nous ont certes pour le moins interpellés, mais interpeller n’est pas séduire, le rendez-vous est manqué. On attendra désormais de le retrouver un jour au volant de son food-truck, en toute simplicité et on continuera, en attendant, de l'écouter et de le lire toujours avec autant de plaisir. Après tout, un rendez-vous manqué ce n'est pas la fin d'une histoire...
Nous avons choisi le menu dégustation - six plats à 165 € :
- Fenouil structure & déstructure
- Morilles / pommes confites / sot l'y laisse
- King crabe snacké / concombre mariné / citron / huile d'olive
- Tronçon de homard rôti / poivrons / aubergine
- Saint Pierre en Tempura / chou-rave cuit basse température / eau de tomate
- Râble de lapereau / légumes à la japonaise / pommes de terre au Chablis
- Sweet Bento & Ylang-ylang
Le pain à l'épeautre Mâcon-Cruzille Domaine Guillot-Broux L'addition (2) : 393 €
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Sur Mesure par Thierry Marx
251 rue Saint-Honoré, 75001 Paris (cliquez sur l'adresse pour afficher le plan)
Téléphone : 01 70 98 73 00
Métro : Concorde, Tuileries
Ouvert du mardi au samedi de 12:00 à 14:00 et de 19:30 à 21:30
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