Coup de gueule : On ne va pas se flasher pour si peu ?
On y avait déjà eu droit l’an passé, presqu’à la même époque, on y aura droit l’an prochain, c’est un peu un marronnier désormais, une nouvelle tarte à la crème juste avant la sortie du Guide Michelin : les Chefs veulent interdire les appareils photos et autres smartphones dans leur restaurant…
C’est reparti comme en quatorze avec une dépêche de l’AFP, un article de L’Express et l’embrasement des réseaux sociaux. Tout le monde en parle, nous aussi, nous sommes coupables, à tel point qu’un des Chefs mentionnés, porteur bien malgré lui de l’étendard des antis est aujourd’hui assailli par les journalistes qui veulent savoir pourquoi il a mis un logotype sur sa carte avec un appareil photo barré d’une croix rouge mais malheureusement aucun ne lui parle pas de sa cuisine. Il y a les pour, il y a les contre, on croirait revivre l’invention de l’imprimerie.
Le cabillaud et le pigeon auraient donc droit eux-aussi à une vie privée, ils ont le droit de sortir avec un panais frit sans que la lentille le sache, voire de sortir ensemble, casqués ou pas. Plus sérieusement, là on nous dit avec force arguments juridiques que le restaurant est un lieu privé accueillant du public et non un lieu public, là les photographes professionnels moquent l’amateurisme des bloggeurs qui eux-mêmes critiquent les plats retouchés, maquillés, huilés, éclairés comme des mannequins, bientôt on protestera contre les ravages du Photoshop en gastronomie. Ici c’est la propriété intellectuelle et artistique qui est invoquée. Qu’est-ce qui est à moi ? Qu’est-ce qui est à toi ? Trop tard je l’ai mangé. Ailleurs les journalistes gastronomiques se lamentent « le métier ce n’est plus ce que c’était » et on pense à Fernand Raynaud « ça eut payé mais ça gagne plus », et puis là encore que les photos ne mettent pas en valeur le talent du Chef ou ici que les photos enlèvent l’effet de surprise…
Stop ! On se calme, on relativise, on ne parle que de cuisine. Tout d’abord ce ne sont pas « les » Chefs qui en ont assez mais « des » Chefs. Ensuite tout ce bruit médiatique c’est un peu « l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours ». Au cours des deux dernières années nous avons eu la chance de découvrir plus de deux cents tables, jamais nous n’avons rencontré de clients montant sur une chaise ou une table pour prendre une photo, et pourquoi pas grimpant aux lustres ! Par contre on a entendu des enfants qui hurlaient - doit-on les interdire ?, vu des curetages de nez - doit-on les couper ?, des tables vides de fumeurs sortis se nicotiner - doit-on les en empêcher ?, des dress codes non respectés - doit-on refouler les étourdis ?, du mâchage bouche ouverte - doit-on la leur fermer ?, des solitaires cachés derrière un journal - doit-on le leur arracher ?, sans parler du claquage de doigts pour appeler le serveur, des slurps avec la cuillère, des absences de merci, des flashs désagréables, des pelotages de Saint-Valentin et autres soupes de langues… Le Chef doit-il interdire tout cela ? Le Chef se sent-il une âme d’éducateur ? Le Chef va-t-il sauver le monde après avoir sauvé la télé ? Le Chef est-il aussi le chef ?
En fait les choses sont bien plus simples : il suffit de préciser « photos interdites » et surtout d’informer le client au moment de la réservation. Libre à lui ensuite de venir ou pas. C’est le choix que nous avions fait avec le Chef dont tout le monde parle aujourd’hui, et nous ne sommes pas fâchés pour autant. Nous ne sommes pas allés chez Daniel Boulud à New-York pour la même raison, son assistante, absolument charmante, nous proposait des photos « professionnelles ». Nous n’irons pas non plus chez Gilles Goujon malgré ses trois étoiles et son talent car nous ne voudrions pas ajouter à son traumatisme, ce n’est pas grave pour eux, ce n’est pas grave pour nous.
Mais pitié Chefs, évitez-nous les discours lénifiants du style « nous devons éduquer le client » ou alors ne vous limitez pas aux photos (bon courage !)… ça serait dommage de se flasher pour si peu.
Pour compléter on pourra relire un billet que nous avions publié sur l’excellent Atabula « Chefs, critiques, bloggeurs, je t’aime moi non plus ».
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