Alexandre Mazzia chez Table Ronde : Rencontre avec une belle personne...
C’était le 17 novembre 2012, nous quittions le Musée d’Art Contemporain de Marseille pas encore capitale européenne de la culture. Les œuvres d'Arman, de Richard Baquié, de Tadashi Kawamata, de Robert Rauschenberg, de Jean Tinguely, de Jacques Villeglé, de César et de bien d’autres encore nous avaient transportés dans leurs mondes, nous étions ici mais ailleurs... Comme beaucoup nous n’avions pas osé nous asseoir à la « Table de la Méditerranée » de l’artiste italien Michelangelo Pistoletto. Cette création « Love difference, Mar Mediterraneo », nous y reviendrons, nous avait questionnés mais aussi ouvert l’appétit et donné l’envie d’une table différente. Nous le confessons, nous ne connaissions pas alors la cuisine d’Alexandre Mazzia mais nous avions appelé Le Ventre de l’Architecte pour rester dans cette ambiance très loin de la bouillabaisse et du Vieux Port. Comme souvent, imprudents que nous sommes, une réservation de dernière minute mais aux innocents les mains pleines ou au moins une petite table pour deux.
MAC Marseille et Love difference, Mar Mediterraneo de Michelangelo Pistoletto
La suite ? Pas un choc, non, non, pas plus qu'une claque comme aiment à le raconter les critiques gastronomiques mais un déjeuner d’une incroyable douceur, sans devoir choisir entre le très bon et le très beau, un émerveillement, comme un pont avec les artistes du matin. On pourra lire ici le billet écrit alors. Nous étions repartis en promettant de revenir, nous avions l’intime conviction d’avoir rencontré un Chef qui est plus qu’un cuisinier, noble et beau métier, plus qu’un artisan qui sait magnifier les produits de ses amis pêcheurs, éleveurs ou cueilleurs, nous avions rencontré une belle personne.
Cette rencontre avec la cuisine d’Alexandre avait un goût d’amours d’été, c’est l’été toute l’année à Marseille, mais les amours d’été finissent mal en général. Loin de l’assiette, loin du cœur. Nous étions revenus mais le Chef avait levé l’encre, avait quitté les cuisines d’où il regardait au loin les Îles du Frioul et au-delà l’Afrique qu’il aime tant. Nous nous étions consolés chez Xavier Zapata mais on ne remplace pas les uns par les autres, fussent-ils ou non cuisiniers. Alexandre avait d’autres projets, nous en reparlerons le moment venu, ce sera vers la rue du Paradis, qui sera alors la bien nommée.
Quelques souvenirs de notre déjeuner au Ventre de L'Architecte
Et puis le revoilà pour la Fête de la Gastronomie à Table Ronde, clin d’œil à la table de Pistoletto, avec nos amis d'Atabula, une rencontre intime, seize privilégiés autour du Chef pour un voyage en treize tableaux, treize, le beau chiffre que voilà. Chacun qui lit ce billet a connu un jour le questionnement qui tiraille avant de retrouver : et si c’était moins bien ? Et si la distance et l’absence avaient donné au souvenir une puissance fragile, comme un château de sable sur les bords de la Méditerranée ?
Et puis aux premiers mots, aux premières bouchées, on sait que ce sera pour toujours. Alexandre parle avec une voix douce et posée de sa cuisine. Il en parle sans esbroufe, il ne la veut pas compliquée. Il dit comment les idées viennent. Comme pour cet étonnant dessert café - champignon de Paris - patate douce, un café posé au coin du piano qui tombe par hasard sur les champignons, l’intuition que ce champignon pauvre peut servir à autre chose qu’à une duxelles. Il dit que les plats qu’il crée sont associés pour lui à des souvenirs, un retour de pêche à la palourde, une promenade en pirogue, une cueillette dans les Calanques, une discussion avec une herboriste qui lui fait découvrir le charbon végétal, les pains perdus da sa grand-mère…
Comme Pistoletto et « sa table », Alexandre Mazzia et sa cuisine racontent des cultures qui souvent s’affrontent autour de la Grande Bleue et qui s’apaisent chez le Chef, Afrique Noire, Afrique du Nord, France, Nord, Sud, mer, terre et même ce soir-là… Paris et Marseille, la main dans la main, c’est dire si Alexandre sème la paix. Comme Pistoletto qui s’inscrit très tôt dans l’Arte Povera, Alexandre Mazzia sait aussi regarder les produits pauvres pour en faire des bouchées nobles, d’une richesse visuelle et gustative qui vous laisse sans voix à l’image de ce maquereau flambé. Le poisson est à peine cuit au chalumeau, avec la peau, qui ensuite est enlevée, le tapioca est servi dans un bouillon comme un puissant bouillon de boeuf à moins que ce soit des effluves de sauce Worcestershire, l’imagination d’Alexandre semble sans limite. Personne n’avait imaginé faire un miso de coquilles d’huître, oui les coquilles infusent au coin du feu et apportent aux simples palourdes et crevettes grises une déstabilisante minéralité iodée. On pourrait analyser chaque plat. Et pourquoi les œufs de truite sont-ils aussi croquants ? Craquants ? C’est à cause du vinaigre japonais (on a failli écrire... mon enfant). Et pourquoi la langoustine est rôtie au beurre demi-sel et pas à l’huile d’olive ? C’est pour mieux la dorer. Et pourquoi ? Et pourquoi ? Et pourquoi ?
Préparation de la biscotte végétale et du tourteau
Mais nous ne voulons pas vous induire en erreur, sa cuisine n’est pas intellectualisée ou compliquée. Sa cuisine n'est pas conceptuelle, elle s'inscrit dans la vraie vie, elle peut aussi se vivre avec simplicité, chacun en la goûtant laissera vagabonder son imagination. Les réactions autour de la table en ont témoigné, chacun a fait un grand voyage, mais aucun n’a fait le même. Comme finalement devant un tableau, on aime, on n’aime pas, on interprète, on connaît, on ne connaît pas, on discute ou on ne dit rien. Alexandre vous regarde, interrogatif, ça va ? C'est bon ? Mieux que ça. Il y avait beaucoup d’émotion à la fin, quatre heures plus tard, quand les applaudissements ne semblaient pas vouloir s’arrêter. Alexandre a juste dit merci, les grandes mains de l’ancien basketteur de l’équipe de France Espoir qui a préféré les pianos aux parquets se sont croisées, se sont serrées pour se donner une contenance, le Chef n’est pas du genre à aimer prendre la lumière alors il a appelé Sébastien et Julien qui étaient à ses côtés pour partager les bravos. Que disions-nous déjà ? Ah oui, une belle personne.
Le menu Table Ronde d'Alexandre Mazzia :
- Biscotte végétale
- Gillardeau n°1, passion, poussière d'épices
- Oeufs de truite, lait fumé
- Tourteau, pommade iodée, concombre, pomme verte
- Palourde, crevette grise, lait de poule et miso de coquilles d'huître
- Maquereau brûlé - steay, tapioca - akaiysaiki, sorbet wasabi
- Langoustine, condiment dattes, rose - hibiscus
- Cabillaud, brocoli fumé
- Anguille, topinambour, foie gras givré
- Pigeon, voile de manioc, framboise - harissa
- Café, patate douce, champignon de Paris
- Avocat, chocolat blanc, graines d moutarde, sorbet Campari - orange
- Maïs, goyave, citron
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Table Ronde
58 rue Saintonge, 75003 Paris (cliquez sur l'adresse pour afficher le plan)
Téléphone : 01 44 54 88 87
Métro : Filles du Calvaire
Réservation sur le site internet selon la programmation
Après quatre années passées au Ventre de L'Architecte, Alexandre Mazzia ouvrira son restaurant toujours à Marseille début 2014. Comptez sur nous pour vous en parler. A suivre...
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